COVID-19 : Pourquoi les femmes résistent-elles mieux ?
Les données mondiales indiquent aujourd’hui clairement des taux de létalité associés à COVID-19 plus élevés chez les hommes que chez les femmes, avec dans la plupart des régions un ratio homme / femme > 1 et pouvant atteindre 3,5 dans certains pays, rappelle une large étude menée à l’Université de Californie San Diego, publiée dans le Lancet Global Health. A la suite de ce constat, réalisé il y a à peine plus d’un mois, une large méta-analyse de la littérature, publiée dans la Revue Nature Communications nous apporte de premières explications sur cette moindre vulnérabilité des femmes au virus. Une étude d’immunologistes de la Johns Hopkins Bloomberg School of Public Health (Baltimore), publiée dans la revue Nature Reviews Immunology confirme à quel point ces différences biologiques entre les sexes se manifestent à travers de multiples facteurs, la sensibilité à l'infection, la pathogenèse plus ou moins précoce, le contrôle viral inné, les réponses immunitaires adaptatives ou l'équilibre de l'inflammation et de la réparation tissulaire dans la résolution de l'infection. Cette comparaison des effets de COVID-19 chez les hommes et chez les femmes permet de mieux cerner les mécanismes de la maladie, de travailler à de nouvelles voies thérapeutiques et permettront sans doute aussi d’améliorer la conception des vaccins.
On a déjà vu que les hommes sont plus susceptibles de développer des formes sévères de COVID-19, la maladie associée au nouveau coronavirus SARS-CoV-2. Les taux de prise en charge en réanimation et de mortalité sont également plus élevés. Une étude de Wuhan avait très rapidement conclu à un taux de décès multiplié par 2, environ, chez les hommes. L’inde fait exception cependant, avec un taux de létalité COVID-19 de 2,9% chez les hommes et de 3,3% chez les femmes, c’est aussi le cas au Népal, au Vietnam et en Slovénie où les taux sont également plus élevés chez les femmes que chez les hommes. Ces résultats atypiques pourraient être liés à un moindre accès des femmes au système de santé ou plus simplement à des systèmes de statistiques moins performants.
Car au regard des données mondiales, ces résultats sont très surprenants. Encore plus, lorsqu’on se penche sur les différentes recherches documentant les facteurs biologiques mais également comportementaux (tabagisme et d'autres habitudes de mode de vie) qui exposent les hommes à un risque plus élevé de complications et de décès liés au COVID-19.
Un risque multiplié par 2,8 chez les hommes vs les femmes, de forme sévère et/ou d’admission en USI
Une large méta-analyse d’experts britanniques du National Institute for Healthy Research (NIHR Londres) menée avec des collègues de l’University of Cape Town (Afrique du Sud) décrypte l’ensemble de ces sexe-ratios et des raisons possibles pour les expliquer. L’analyse confirme que si les hommes et les femmes encourent un risque équivalent d'infection, le sexe masculin est en moyenne associé à un risque multiplié par 2,8 de développement d’une forme sévère de la maladie et/ou d’admission en USI.
Les principales raisons avancées sont :
- L’existence de différences entre les sexes dans la prévalence et les issues des maladies infectieuses à tous âges, avec une charge globale plus élevée d'infections bactériennes, virales, fongiques et parasitaires chez les hommes ; cette charge supérieure chez les hommes a également été observée lors des précédentes épidémies de coronavirus. Ces données suggèrent que, bien que des facteurs socio-économiques puissent influencer certains aspects de la pandémie, des différences fondamentales dans la réponse immunitaire entre les hommes et les femmes sont susceptibles d'être déterminantes dans la pandémie COVID-19.
- Des différences entre les sexes dans le système immunitaire inné et adaptatif ont déjà été signalées et peuvent expliquer l'avantage féminin du COVID-19. Au sein du système immunitaire adaptatif, les femmes ont un nombre plus élevé de lymphocytes T CD4 +, une activité cytotoxique des lymphocytes T CD8 + plus robuste et une production accrue d'immunoglobulines de lymphocytes B par rapport aux hommes.
- Autre illustration de ce biais immunitaire, la réponse vaccinale (en général) qui entraîne chez les femmes des effets secondaires locaux et systémiques plus sévères mais induit des titres d'anticorps plus élevés en réponse à la vaccination antigrippale saisonnière mais aussi à la plupart des autres vaccins. De nombreuses preuves soutiennent que les femmes ont une capacité accrue à monter des réponses immunitaires humorales par rapport aux hommes- ce qui pourrait également avoir des implications importantes pour la mise en oeuvre des stratégies de vaccination contre le COVID-19.
- Les femmes produisent plus d'interféron de type 1 (IFN), un groupe de cytokines qui aident à réguler l'activité du système immunitaire, à capacité antivirale puissante, lors de la détection d'ARN viral que les hommes. L'augmentation de la production d'IFN par les femmes est associée à la fois à la concentration d'hormones sexuelles ( notamment estradiol) et au nombre de chromosomes X présents. Le chromosome X contient de nombreux gènes immunitaires et les gènes immunitaires codés X peuvent être exprimés de manière variable sur les deux allèles dans les cellules immunitaires chez les femmes, ce qui augmente le spectre de la réponse immunitaire.
- En revanche, la testostérone, l'hormone sexuelle masculine, exerce un effet immunosuppresseur : ainsi, la thérapie de privation de testostérone pour le cancer de la prostate a été associée à de meilleurs résultats pour le COVID-19, ce qui suggère que la suppression de la réponse immunitaire par la testostérone, ainsi que l'effet protecteur des œstrogènes, peuvent contribuer à expliquer ce sexe ratio défavorable aux hommes.
- Les modifications du système immunitaire liées à l'âge sont également différentes entre les sexes, les hommes présentent une baisse des lymphocytes B liée à l'âge et une tendance à un vieillissement immunitaire accéléré.
- Enfin, parmi les multiples facteurs cités et documentés par les auteurs, l’expression des récepteurs de l'enzyme de conversion 2 de l'angiotensine (ACE2), le récepteur qui facilite l'entrée virale du SRAS-CoV-2 et la transmission interhumaine. Cette expression apparaît également différente selon les sexes.
- Les différences de prévalence de certaines comorbidités associées à un COVID-19 sévère selon le sexe pourraient également expliquer une partie de la différence d’incidence des formes sévères selon le sexe, tout comme toute une série de différences socioculturelles et comportementales fondées sur le sexe (tabagisme, hygiène, accès inégal aux soins de santé et aux tests…).
Ainsi, le sexe humain, une caractéristique biologique multidimensionnelle qui façonne la pathogenèse des maladies infectieuses, joue également un rôle fondamental dans les résultats hétérogènes du COVID-19. Cette meilleure compréhension, acquise en très peu de temps, des mécanismes moléculaires et cellulaires de base pouvant expliquer ces différences, pourra certainement être exploitée pour optimiser la réponse immunitaire à l'infection par le SRAS-CoV-2.